La
revanche contre la Résistance
Figure importante
du patronat, Denis Kessler salue la politique de Sarkozy, qui
vise à « sortir de 1945 et à défaire méthodiquement le programme
du Conseil nationale de la Résistance ». Ancien vice-président
du MEDEF, Denis Kessler hante toujours l’aristocratie du monde
des affaires et de la politique. Aussi l’éditorial qu’il a signé
dans les colonnes du magazine Challenges (lire ci-dessous) sous
le titre « Adieu 1945, raccrochons notre pays au monde » ne saurait,
en dépit de son apparence, être lu comme les divagations d’un
extrémiste entraîné par l’exaltation, et n’exprimant que sa propre
haine de la Résistance. Cette voix autorisée du grand patronat
analyse avec franchise le sens de la politique de Nicolas Sarkozy.
Kessler n’y va pas par quatre chemins : le modèle social français(
lire ci-dessous le texte intégral) est le résultat de la Libération.
« Il s’agit aujourd’hui, écrit-il, de sortir de 1945 et de défaire
méthodiquement le programme du Conseil national de la Résistance
! » Jamais pareil aveu n’a été formulé, même si tout au long de
sa campagne électorale, le candidat de l’UMP n’avait eu de cesse
de fustiger le modèle social français, de chanter les vertus de
l’effort individuel s’opposant à la solidarité, de suspecter les
chômeurs et les pauvres d’abuser de la générosité publique. Nicolas
Sarkozy avait jeté aux gémonies le mouvement de Mai 68. En 2002,
François Fillon avait accusé le Front populaire d’être responsable
de la défaite militaire de 1940. Mais la Résistance avait été
jusqu’alors épargnée dans les discours. Il est difficile en effet
d’honorer Guy Môquet et d’attaquer le programme du CNR. Certes,
l’article de Challenges n’est pas signé par un membre du gouvernement,
mais il traduit, au moins, les attentes du MEDEF à l’égard d’un
président qui, jusqu’à présent, ne l’a jamais déçu.
Pour le medef,
tout doit disparaître
L’ensemble
des réformes économiques et sociales mises en place au moment
où la France venait de se libérer de l’occupation nazie et du
régime fasciste de Vichy ont été rendues possibles grâce à « un
pacte politique entre les gaullistes et les communistes », explique
Kessler. Pacte qu’une partie de la droite et de la bourgeoise
française n’ont visiblement jamais accepté, et que les conditions
politiques d’aujourd’hui permettent d’abolir. Telle est succinctement
résumée l’analyse de l’éditorial de Challenges, qui doit conduire
le gouvernement à forcer le pas pour « défaire » le système de
Sécurité sociale, le statut de la fonction publique, ce qui demeure
du secteur public, le conventionnement du marché du travail, la
représentativité syndicale, les régimes complémentaires de retraites….
Tout doit disparaître. La présentation du CNR est fausse, parce
que terriblement réductrice. S’il est vrai que les communistes
ont joué un rôle déterminant dans la Résistance et dans la construction
de son programme politique, le CNR ne se résumait pas en un face-à
face entre le PCF et les gaullistes, mais rassemblait l’ensemble
des mouvements de résistance armée, la plupart des partis politiques,
les syndicats (CGT et CFTC, alors seules existantes).
L’affaiblissement
du Parti communiste et le bradage de l’héritage gaulliste par
l’UMP sont des opportunités à saisir pour réaliser un « aggiornamento
» idéologique : Une droite et une gauche d’accord sur les fondamentaux
du capitalisme financier. Mais la partie n’est pas gagnée, car,
déplore l’éditorialiste, « le pays sanctifie ses institutions
». Le peuple est attaché à la République et à la démocratie reconquises
sur la barbarie nazie. Cela semble être un problème pour Denis
Kessler, qui se lamente de constater que « ceux qui s’attaquent
à ces institutions d’après-guerre apparaissent sacrilèges ». Or
ces institutions d’après-guerre correspondent tout simplement
au rétablissement de la République après quatre années de régime
fasciste à la française et d’occupation nazie !
Un modèle
« dépassé », « inefficace », « daté » ? Le MEDEF trace la ligne,
le gouvernement l’exécute. Telle est du moins l’impression que
dégage le discours que François Fillon a prononcé mercredi soir
devant les « réformateurs »(comprenez les ultra-libéraux) de l’UMP.
Le premier ministre de Nicolas Sarkozy a mis fin au mythe entretenu
jusqu’à présent, selon lequel les dizaines de milliers de suppressions
d’emplois prévues dès cette année dans la Fonction publique n’auraient
aucune incidence sur les services rendus à la population. Qui
ne se souvient de l’argument de bonimenteur répété par le candidat
Sarkozy sur les douanes prétendument pléthoriques alors que les
contrôles aux frontières sont supprimés au sein de l’UE… Enfin,
Fillon le reconnaît et s’en félicite : « Il faut, dit-il, que
chacun d’entre nous accepte qu’il y ait moins de services, moins
de personnel, moins d’État sur son territoire ». La dégradation
des services publics est revendiquée. Concrètement, cela signifie
dégradation dans l’école , où quelque vingt mille postes d’enseignants
seront effacés ; dégradation dans la justice, avec la suppression
de centaines de tribunaux, sous-effectifs dans les hôpitaux… De
nombreux territoires vont demeurer des déserts en matière de services
publics. Ce terrible aveu dessine les contours d’une société plus
dure pour les plus faibles, alors que la société moderne a besoin
de nouveaux services publics, pour la petite enfance, pour l’aide
aux personnes âgées notamment.
Pour imposer
cette rupture avec l’héritage de la Résistance, Denis Kessler
et François Fillon voudraient prendre la contestation sociale
de vitesse. Les grèves de 1995 ont laissé un cruel souvenir à
la droite. Elle veut passer en force, de l’état de grâce à l’état
de choc. Mais la France a déjà montré qu’elle était capable de
Résistance.
Jean-Paul
Piérot
«
Adieu 1945, raccrochons notre pays au monde ! » est le titre
de l’éditorial du magazine Challenges signé par Denis Kessler
« Les annonces
successives des différentes réformes par le gouvernement peuvent
donner une impression de patchwork, tant elles paraissent variées,
d’importance inégale, et de portées diverses : statut de la fonction
publique, régimes spéciaux de retraite, refonte de la Sécurité
sociale, paritarisme… À y regarder de plus près, on constate qu’il
y a une profonde unité à ce programme ambitieux. La liste des
réformes ? C’est simple, prenez tout ce qui a été mis en place
entre 1944 et 1952, sans exception. Elle est là. Il s’agit aujourd’hui
de sortir de 1945, et de défaire méthodiquement le programme du
Conseil national de la Résistance ! À l’époque se forge un pacte
politique entre les gaullistes et les communistes. Ce programme
est un compromis qui a permis aux premiers que la France ne devienne
pas une démocratie populaire, et aux seconds d’obtenir des avancées
– toujours qualifiées d’« historiques » – et de cristalliser dans
des codes ou des statuts des positions politiques acquises. Ce
compromis, forgé à une période très chaude et particulière de
notre histoire contemporaine (où les chars russes étaient à deux
étapes du Tour de France, comme aurait dit le Général), se traduit
par la création des caisses de Sécurité sociale, le statut de
la fonction publique, l’importance du secteur public productif
et la consécration des grandes entreprises françaises qui viennent
d’être nationalisées, le conventionnement du marché du travail,
la représentativité syndicale, les régimes complémentaires de
retraite, etc. Cette « architecture » singulière a tenu tant bien
que mal pendant plus d’un demi-siècle. Elle a même été renforcée
en 1981, à contresens de l’histoire, par le programme commun.
Pourtant, elle est à l’évidence complètement dépassée, inefficace,
datée. Elle ne permet plus à notre pays de s’adapter aux nouvelles
exigences économiques, sociales, internationales. Elle se traduit
par un décrochage de notre nation par rapport à pratiquement tous
ses partenaires. Le problème de notre pays est qu’il sanctifie
ses institutions, qu’il leur donne une vocation éternelle, qu’il
les « tabouise » en quelque sorte. Si bien que lorsqu’elles existent,
quiconque essaie de les réformer apparaît comme animé d’une intention
diabolique. Et nombreux sont ceux qui s’érigent en gardien des
temples sacrés, qui en tirent leur légitimité et leur position
économique, sociale et politique. Et ceux qui s’attaquent à ces
institutions d’après-guerre apparaissent sacrilèges. Il aura fallu
attendre la chute du mur de Berlin, la quasidisparition du Parti
communiste, la relégation de la CGT dans quelques places fortes,
l’essoufflement asthmatique du Parti socialiste comme conditions
nécessaires pour que l’on puisse envisager l’aggiornamento qui
s’annonce. Mais cela ne suffisait pas. Il fallait aussi que le
débat interne au sein du monde gaulliste soit tranché, et que
ceux qui croyaient pouvoir continuer à rafistoler sans cesse un
modèle usé, devenu inadapté, laissent place à une nouvelle génération
d’entrepreneurs politiques et sociaux. Désavouer les pères fondateurs
n’est pas un problème qu’en psychanalyse. » Le magazine Challenges,
4 octobre 2007.
Nous vivons
à l’évidence une période cruciale de refondation du paysage politique
et social français. Dans ce grand tourbillon, histoire d’y voir
un peu plus clair, le magazine Challenges ne nous en voudra pas
de donner à lire l’éditorial de sa dernière édition, signé de
l’ancien vice-président du MEDEF, Denis Kessler.
En effet,
pour qui veut bien comprendre le film de la politique Sarkozy,
que le président s’emploie à nous projeter en accéléré pour mieux
le brouiller, cet article fournit des sous-titres d’une limpide
clarté. C’est donc bien tout l’édifice social issu des conquêtes
de la Libération et du Conseil national de la Résistance que le
nouveau président veut mettre à bas. Dans leur esprit, tout doit
être liquidé avec méthode. C’est cette fois plus clairement dit
que jamais.
Mais l’intérêt
de cet article va au-delà. Il met du même coup clairement en perspective
trois piliers de la refondation entreprise : la démolition sociale
exigée depuis des années par le MEDEF et assumée aujourd’hui dans
toute son ampleur par Nicolas Sarkozy ; la révision d’une certaine
idée de la France dans ses rapports au monde ; la refondation
politique qui en devient du coup le corollaire indispensable.
Cette cohérence est d’ailleurs consignée dans les actes présidentiels
de ces dernières semaines : le discours présidentiel prononcé
le 18 septembre pour lancer la restructuration de tout l’édifice
social français, le discours raciste prononcé le 26 juillet à
Dakar et le terrible symbole des tests ADN ; le ralliement atlantiste
entériné à New York et la relance du traité européen rejeté en
2005 ; l’exercice du pouvoir sur un mode hyperprésidentiel, la
volonté déclarée de procéder à une révision constitutionnelle
qui consacre la bipolarisation politique, la stratégie de l’«
ouverture » politique utilisée pour tenter de brouiller tout clivage
droite-gauche.
Cette clarification
du projet Sarkozy devrait intéresser toutes celles et tous ceux
qui entendent lui résister. Car il n’y aura pas de résistance
durable et solide à cette entreprise de remodelage généralisé
qui accepterait de faire face à un des pans de l’offensive tout
en la laissant prospérer à travers d’autres brèches laissées grandes
ouvertes. De ce point de vue, si l’éditorial de Denis Kessler
éclaire le projet de la droite au pouvoir, il interpelle aussi
toute la gauche, qui pour faire face doit elle-même clarifier
son projet.
Il faudra
bien que le peuple de gauche et, bien au-delà, tous ceux qui commencent
à se lever contre la politique Sarkozy en prenant conscience de
son extrême gravité disent où est l’avenir d’une alternative solide.
Dans la poursuite des « modernisations » libérales ? Dans l’atlantisme
? Dans la fuite en avant d’une Europe de la mise en concurrence
systématique ? Dans l’approfondissement d’une bipolarisation appauvrissante
? Dans un choix qui revendique dans la foulée de la campagne de
Ségolène Royal ce que son fidèle soutien Bernard-Henri Lévy appelle
« une gauche américaine alliée avec le centre et qui assume sa
part d’héritage libéral » ? Ou bien au contraire dans une gauche
qui, repensant le monde, renouerait enfin avec ses valeurs, son
attachement sans compromis à l’égalité et à la justice sociale,
son parti pris de la diversité, une vision solidaire de la planète
?On entend déjà les éternels « modernisateurs » de la gauche nous
rétorquer finalement, comme Denis Kessler, que tout cela date
décidément beaucoup. « Plutôt Bayrou que Buffet », nous suggère
ainsi BHL. Marie-George Buffet, justement, à la Fête de l’Humanité,
répondait déjà à cette alternative piégée. « Nous savons tous
que le statu quo à gauche n’est pas tenable, déclarait-elle. Nous
savons tous qu’il faudra refonder nos combats en ce XXIe siècle.
Mais pourquoi cela signifierait-il mettre la clé sous la porte,
pourquoi refonder la gauche, ce serait accepter de la faire tomber
à droite ? »
Refonder,
innover et non tout bazarder. Et s’il était là le vrai débat d’avenir
face à Sarkozy ?
François
Fillon avoue le but de ses réformes :
« Moins de services, moins de personnel »
Le premier
ministre veut en finir avec le modèle français d’égalité de tous
dans l’accès à tous les services publics.
« La réforme
de l’État supposera que chacun d’entre nous accepte qu’il y ait
moins de services, moins de personnel, moins d’État sur son territoire.
» François Fillon a lâché le morceau mercredi soir lors de la
convention de rentrée des réformateurs de l’UMP. La centaine de
parlementaires, qui se définissent eux-mêmes comme les « gardiens
intransigeants des réformes », ont applaudi. Ceux qui ont cru
à l’entreprise de séduction du chef de l’État affirmant vouloir
« moderniser » le service public « en fonction des besoins de
la société d’aujourd’hui » ont de quoi être douchés. Ceux qui
avaient déjà décelé le vrai dessein gouvernemental sont confortés
dans l’idée que la réforme de l’État vise à diminuer considérablement
son périmètre d’intervention.
Comme il se
trouve des élus locaux jusque dans les rangs de la majorité pour
se plaindre, pour les uns de voir le tribunal de leur ville menacé
de fermeture, pour les autres de voir disparaître l’hôpital, pour
d’autres encore de subir un regroupement de services avec un bureau
de poste qui s’installe dans le tabac du coin, le premier ministre
a rappelé ses troupes à l’ordre : « La réforme de l’État général
qui satisfait tout le monde mais qui ne se traduit par aucune
suppression d’aucun établissement sur le territoire, ça n’existe
pas. » François Fillon a aussi livré la raison de son empressement
: « Marqué par le double souvenir de l’échec de 1988 et les grèves
de 1995, notre camp s’est, malgré lui, peu à peu convaincu que
la réforme devait être prudente, modeste, pour ne pas dire dissimulée.
Mais on ne réforme pas vraiment en catimini, pas plus qu’on ne
réforme seul au sommet de l’État. » À quelques jours du 18 octobre,
date qui agrège de plus en plus de mouvements de protestation
dans les services publics, l’UMP et ses élus sont appelés à serrer
les rangs.
Même s’il
a pris moins de précautions que le président de la République,
François Fillon n’a pas gaffé. Il applique. Nicolas Sarkozy lui
a explicitement demandé, dans son discours du 19 septembre sur
la fonction publique, de réformer l’administration, de « refonder
l’État ». Sa vision de ce que doit devenir l’État s’incarne dans
une société où les solutions individuelles s’imposent. L’administration
doit maigrir, se défaire des services de proximité. Elle doit
déléguer des services à des entreprises privées ou rejeter les
missions qu’il n’estime pas être de sa responsabilité sur les
collectivités territoriales. Les projets sont déjà en route. La
réforme de la carte judiciaire entérine la disparition de 400
juridictions, principalement les petits tribunaux d’instance et
de prud’hommes. La fusion ANPE-UNEDIC, actuellement en préparation,
entérinerait la suppression de guichets. La fusion des services
des impôts (DGI) et de la comptabilité publique (DGCP), menée
par le ministre du budget, Éric Woerth, est en fait un vaste mouvement
de rationalisation de ces administrations. Concernant l’hôpital,
la disparition des établissements de proximité est déjà à l’oeuvre,
les « plateaux techniques » se concentrant dans les grandes agglomérations.
Les établissements scolaires n’échapperont pas à la cure d’amaigrissement,
Nicolas Sarkozy ayant prévenu qu’il y aura moins d’école une fois
les programmes et les rythmes réformés. Lors de la convention
de l’UMP sur les services publics, en juillet 2007, il envisageait
déjà « le regroupement de plusieurs écoles dans un seul bourg
».
Paule Masson
Le
programme du CNR : résolument moderne
Solidarité
et appropriation sociale restent des principes actuels pour préserver
le modèle social français.
Les « modernes
» libéraux contre les « passéistes » de gauche, conservateurs
et rétrogrades. Denis Kessler nous sert sa version du renversement
du sens des mots pour appeler à la destruction des conquêtes du
CNR, », qui empêchent « notre pays de s’adapter aux nouvelles
exigences économiques, sociales, internationales ». Des « exigences
» qui ont pour nom : privatisations, liberté des capitaux et des
marchés, déréglementation et baisse du coût du travail, sur fond
de financiarisation de l’économie, avec pour corollaire la montée
du chômage et des inégalités. Tout ce que, précisément, le programme
du CNR se proposait de combattre, en voulant instaurer « un ordre
social plus juste » basé sur l’appropriation sociale et la solidarité
: Sécurité sociale et retraites généralisées, contrôle des « féodalités
économiques », droit à la culture et à l’éducation pour tous,
presse délivrée de l’argent et de la corruption, lois sociales
ouvrières et agricoles, etc. Toutes conquêtes qui n’ont pas mis
« l’État en faillite », en dépit de richesses infiniment moindres
qu’aujourd’hui et des destructions de la guerre !
En février
1945, le futur ministre communiste inventeur du statut de la Fonction
publique, Maurice Thorez, déclarait dans l’Humanité : « Si on
analysait sérieusement les causes de la défaite de 1940 (…), on
verrait que la cause essentielle est l’égoïsme de certains cercles
privilégiés qui ont sacrifié délibérément les intérêts de la nation
à la défense de leurs privilèges. » C’est exactement ce que fait
le gouvernement depuis cinq ans, avec ses « réformes » de privatisation
du système de protection sociale, le bradage du secteur énergétique
et l’avalanche de cadeaux fiscaux aux riches.
Constatant
le creusement vertigineux des inégalités dans le monde depuis
les années soixante-dix, un économiste libéral du Monde décrivait,
en mars dernier (1), un « retour au capitalisme du XIXe siècle
», avec des écarts de richesses dans les pays développés retrouvant
leur niveau de 1900, après une forte réduction dans les années
d’après guerre. Si des transformations profondes ont affecté les
économies depuis la Libération, avec la révolution technologique
et informationnelle à l’oeuvre, le capitalisme engendre les mêmes
maux qu’avant guerre : crise boursière venue des « subprimes »
américains, scandales financiers comme à EADS, « parachute en
or » pour les PDG mais chômage et précarité pour les autres, sur
fond de dépression économique, de pouvoir d’achat qui recule,
etc. Attaquée de toutes parts, l’« architecture » héritée du CNR
tient le choc, en préservant notre système de protection sociale
et nos services publics des prédations et des aléas financiers.
Ce système supporte largement la comparaison avec le modèle anglo-américain
dont rêvent Nicolas Sarkozy et Denis Kessler, avec ses millions
de retraités ruinés suite au scandale d’Enron, les déboires actuels
des petits propriétaires victimes de la crise boursière américaine,
les millions d’enfants non assurés socialement ou encore l’incurie
des services de l’« État minimal » américain au moment de l’ouragan
Katrina. Qu’on se rappelle, à ce propos, l’efficacité de l’entreprise
publique EDF lors de la tempête de 1999… Plus proches de nous
les ravages de la « concurrence » en Europe sont bien visibles,
entraînant hausse des prix, précarisation de l’emploi et dégradation
des services.
De tout cela,
Denis Kessler ne parle pas. Pas plus qu’il n’évoque le débat sous-jacent
à son propos, qui est de savoir si, au fond, le cadre de la mondialisation
libérale est indépassable ou pas. Tout comme il était de savoir,
à l’époque de l’établissement du programme du CNR, si la guerre,
la défaite, la destruction des acquis sociaux ordonnée par les
gouvernements qui ont suivi celui du Front populaire étaient une
fatalité ou pas. (1) Le Monde des 11 et 12 mars 2007.
Sébastien
Crépel
L’appel
des résistants aux jeunes
Le 8 mars
2004, à l’occasion de la commémoration du 60e anniversaire du
programme du CNR (Conseil national de la Résistance), treize (1)
personnalités de la Résistance lançaient un appel aux jeunes générations.
« Notre colère contre l’injustice est toujours intacte », écrivaient-elles.
Et énumérant quelques-uns des grands points du programme du CNR
: « Sécurité sociale et retraites généralisées, contrôle des "féodalités
économiques", droit à la culture et à l’éducation pour tous, presse
délivrée de l’argent et de la corruption, lois sociales ouvrières
et agricoles, etc. », elles s’étonnaient : « Comment peut-il manquer
aujourd’hui de l’argent pour maintenir et prolonger ces conquêtes
sociales, alors que la production de richesses a considérablement
augmenté depuis la Libération, période où l’Europe était ruinée
? » Elles appelaient à ne « pas démissionner » et à « définir
ensemble un nouveau programme de Résistance pour notre siècle.
» Elles appelaient aussi « à une véritable insurrection pacifique
contre les moyens de communication de masse qui ne proposent comme
horizon pour notre jeunesse que la consommation marchande, le
mépris des plus faibles et de la culture, l’amnésie généralisée
et la compétition à outrance de tous contre tous. » Avant de conclure
: « Plus que jamais, à ceux et celles qui feront le siècle qui
commence, nous voulons dire avec notre affection : Créer, c’est
résister. Résister, c’est créer. » (1)
Lucie Aubrac,
Raymond Aubrac, Henri Bartoli, Daniel Cordier, Philippe Dechartre,
Georges Guingouin, Stéphane Hessel, Maurice Kriegel-Valrimont,
Lise London, Georges Séguy, Germaine Tillion, Jean-Pierre Vernant,
Maurice Voutey.
Martin
Niemöller (né le 14 janvier 1892 et mort le 6 mars 1984) fut un
pasteur et théologien allemand.
D'abord militaire
décoré lors de la Première Guerre mondiale, Niemöller s'orienta
vers la théologie après avoir éprouvé les horreurs de la guerre.
Au moment de la montée en puissance du pouvoir nazi, qui noyauta
peu à peu l'église allemande, le pasteur Martin Niemöller, pourtant
partisan du régime hitlérien, appela les pasteurs hostiles aux
mesures antisémites à s'unir au sein d'une nouvelle organisation,
le "Pfarrernotbund", la "Ligue d'urgence des pasteurs", qui respecterait
les principes de tolérance énoncés par la Bible et la profession
de foi réformatrice. Cet appel eut un grand écho : à la fin de
l'année 1933, 6 000 pasteurs, soit plus d'un tiers des ecclésiastiques
protestants, avaient rejoint ce groupe dissident. La "Ligue d'urgence
des pasteurs", soutenue par des protestants à l'étranger, adressa
au synode une lettre de protestation contre les mesures d'exclusion
et de persécution prises envers les juifs et envers les pasteurs
refusant d'obéir aux nazis. Malgré les protestations, Martin Niemöller
fut déchu de ses fonctions de pasteur et mis prématurément à la
retraite au début du mois de novembre 1933. Mais la grande majorité
des croyants de sa paroisse décida de lui rester fidèle, et il
put ainsi continuer à prêcher et à assumer ses fonctions de pasteur.
Niemöller fut arrêté en 1937 et envoyé au camp de concentration
de Sachsenhausen. Il fut ensuite transféré en 1941 au camp de
concentration de Dachau. Libéré du camp par la chute du régime
nazi, en 1945, il se consacrera par la suite, jusqu'à sa mort
en 1984, à la reconstruction de l'Église protestante d'Allemagne
et prendra de plus en plus de distance avec les milieux conservateurs
de ses origines pour devenir un militant pacifiste.
Poème
célèbre attribué à Niemöller:
Lorsque
les nazis sont venus chercher les communistes
Je me suis tu, je n'étais pas communiste.
Lorsqu'ils
sont venus chercher les syndicalistes
Je me suis tu, je n'étais pas syndicaliste.
Lorsqu'ils
sont venus chercher les sociaux-démocrates
Je me suis tu, je n'étais pas social-démocrate.
Lorsqu'ils
sont venus chercher les juifs
Je me suis tu, je n'étais pas juif.
Puis ils sont venus me chercher
Et il ne restait plus personne pour protester.
À noter que
la forme initiale exacte et l'origine de ce poème ne sont pas
connues avec certitude, voir les liens externes. La forme ci-dessus
est une traduction de celle reconnue définitive par la Fondation
Martin Niemöller.
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