Nouvel
Observateur
Semaine
du 16 novembre 2000 -- N°1880 --
Il crée
le Haut Conseil de l'Evaluation
« Oui,
il faut évaluer l'école »
Dans l'entretien
qu'il nous donne ci-dessous, le ministre de l'Education nationale
explique pourquoi il crée un organisme « indépendant et transparent
», chargé d'évaluer les élèves, les profs, les établissements
et les filières, avec à sa tête le polytechnicien Claude Thélot,
expert reconnu écarté par son prédécesseur. En priorité, le ministre
veut savoir si les élèves d'aujourd'hui sont meilleurs ou moins
bons que leurs aînés, supérieurs ou inférieurs à ceux des pays
étrangers
Le Nouvel
Observateur.
- Vous voulez relancer l'évaluation de l'école, que votre prédécesseur
avait mise en sommeil. Les profs vont vous accuser de vouloir
les juger et les sanctionner, alors que les « mauvais profs »
sont une minorité infime...
Jack Lang.
- Il faut distinguer avec soin plusieurs choses : l'évaluation
de l'école, de ses résultats ; celle des élèves, de leur niveau,
de leur progrès au cours de leur scolarité ; celle des établissements
scolaires ; enfin celle des personnels, qui demeure la mission
des corps d'inspection. La relance de l'évaluation, dont la création
du Haut Conseil est un élément important, a reçu un accueil favorable
des principaux syndicats d'enseignants, des fédérations de parents
d'élèves comme de la représentation nationale lors de l'examen
du budget en commission.
N. O.
- Le mot « évaluation » est abstrait pour les Français : comment
le populariser ?
J. Lang.
- L'évaluation tient de la radiographie, du thermomètre, du baromètre,
mieux, de la boussole ! Elle n'est en tout cas pas faite pour
alimenter des statistiques, mais pour savoir comment marche vraiment
l'école. Sans cet outil fondamental, l'immense vaisseau qu'est
l'Education nationale n'a plus de quoi tenir le cap. C'est alors
le règne du Café du Commerce, avec ses clichés, ses préventions
et ses poncifs ! Cette politique de relance de l'évaluation est
une nécessité absolue et vitale pour disposer d'instruments scientifiques
et d'analyses incontestables.
N. O.
- Sept ans après votre premier passage à la Rue-de-Grenelle, quelles
sont vos impressions sur l'état de l'école ? « Amochée » ou «
délabrée », comme le prétendait votre prédécesseur ?
J. Lang.
- Sûrement pas ! Les comparaisons internationales, comme celle
citée dans le rapport de la Commission européenne sur la qualité
de l'enseignement scolaire, montrent que notre pays reste par
exemple un de ceux où le pourcentage de jeunes sortis sans qualifications
du système éducatif est le plus faible. L'idée d'une école « délabrée
» ou « amochée » fait partie des jugements excessifs formulés
par des politiques ou les pseudo-spécialistes de l'éducation.
Mais de vrais changements doivent être accomplis dans l'esprit
d'exigence que j'évoquais précédemment. D'abord consolider l'enseignement
de base à l'école maternelle et primaire. Le plan que j'ai annoncé
en juin devrait permettre de gagner la bataille de la lecture
et de l'écriture et de mieux armer les enfants pour affronter
le futur grâce à l'enseignement obligatoire d'une langue vivante
étrangère, grâce au développement de l'enseignement scientifique
et des nouvelles technologiques et grâce à l'éveil artistique
et culturel. L'un des maîtres mots qui devrait nous guider pour
l'amélioration de l'enseignement secondaire est celui de la diversité.
Nous devons mieux reconnaître la pluralité des intelligences et
des talents. Ainsi pourrons-nous reconstruire plus solidement
et en égale dignité des voies de formation aujourd'hui en difficulté.
N. O.
- Quels changements avez-vous perçus à votre retour ?
J. Lang.
- Dès que je suis loin des cénacles parisiens, je ne constate
le plus souvent que des changements très positifs. Nous devons
prendre conscience que l'école n'est plus la même qu'il y a vingt
ans et qu'elle a des capacités d'innovations inouïes. Mais naturellement
nous ne serions pas en France si cette réussite ne s'accompagnait
pas de critiques parfois vives sur ce qui ne marche pas et d'exigences
en tout genre.
N. O.
- Cependant des experts aussi peu contestés que Claude Thélot
ont jugé que notre système éducatif, après vingt ans d'extraordinaires
performances, s'essoufflait depuis le milieu des années 90, malgré
des moyens toujours en hausse. Que faire de ce diagnostic ?
J. Lang.
- Je n'ai pas vraiment entendu Claude Thélot s'exprimer ainsi.
Cependant, après une décennie de progrès sans précédent, il devient
plus difficile de réduire le taux des 8% de jeunes sans qualifications
ou d'augmenter l'accès à l'université. Cela justifie le plan pluriannuel
qui permettra, dans un contexte de légère décroissance des effectifs,
de dégager des solutions qualitatives.
N. O. -
Pourquoi créer un appendice de plus à ce gros ministère - le Haut
Conseil de l'Evaluation -, alors qu'existe déjà Rue-de-Grenelle
une direction chargée de ce travail d'expertise ? Une occasion
de plus pour les détracteurs de l'école d'évoquer l'usine à gaz
de l'éduc nat ?
J. Lang.
- Ce Haut Conseil n'a rien d'un caprice personnel : extérieur
au ministère, il est fait pour rendre l'information sur l'école
la plus indépendante et transparente possible et favoriser ainsi
la qualité du débat public sur l'éducation. Son président, Claude
Thélot, conseiller maître à la Cour des Comptes, est un expert
et un scientifique reconnu. Les membres de ce Conseil regroupent
à la fois l'ensemble des acteurs partenaires du système éducatif
et des experts de grande qualité. J'ai en outre tenu à nommer
dans cette instance des experts étrangers pour enrichir le regard
sur notre école.
N. O.
- Quelles sont les zones d'ombre de l'école que vous aimeriez
éclairer ?
J. Lang.
- Je voudrais d'abord que l'on éclaire la question du niveau des
élèves par rapport au passé et en comparaison avec les autres
pays étrangers : nous devons mieux savoir les domaines où nous
sommes bons, où nous avons progressé, mais aussi ceux où l'école
a des difficultés ou même rencontre des échecs. Ainsi réussirons-nous
à mieux cerner les priorités de notre action. Je pense ensuite
au débat empoisonné sur la démocratisation de l'école. Trop d'idéologues
concluent que les écarts sociaux ne cessent d'augmenter en son
sein. Or rien n'est moins sûr : Claude Thélot lui-même vient en
tout cas de confirmer (1) que les inégalités sociales devant l'école
se sont réduites, même si elles restent encore importantes. Il
est quand même logique que l'immense investissement humain engagé
ait sa part de réussite ! Je souhaite aussi que l'on clarifie
l'éternelle question du taux d'encadrement : il serait plus utile
de savoir quels effectifs d'élèves par classe sont réellement
susceptibles d'améliorer les résultats, plutôt que de s'en tenir
à l'intuition ou de céder à la pression des uns ou des autres.
Enfin il me semble urgent d'améliorer l'évaluation de nos universités,
des premiers cycles en priorité. Mais ce à quoi je tiens par-dessus
tout est l'évaluation individuelle des élèves. Mine de rien, c'est
une petite révolution.
N. O.
- En quoi ?
J. Lang.
- Il est essentiel que chaque élève puisse faire régulièrement
un bilan de ses forces et de ses faiblesses : c'est indispensable
pour lui, ou pour sa famille, mais aussi pour les enseignants
qui pourront ainsi adapter leur enseignement à chaque élève. Cela
a autant d'importance que les grandes enquêtes et expertises nationales.
On l'aura compris, c'est à l'école maternelle et primaire qu'il
faut réorienter nos efforts pour gagner la bataille de la lecture,
sans laquelle il ne peut y avoir de véritable amélioration du
système éducatif. J'ai décidé de mettre en place dès la dernière
année de maternelle, puis à l'entrée à l'école primaire, un repérage
des élèves en difficulté, notamment dans l'usage de l'oral : les
linguistes sont pour une fois d'accord sur le fait qu'il faut
posséder une certaine aisance sur ce plan pour apprendre à lire.
Or ces repérages-là n'existent pas plus que les outils d'apprentissage
et l'aide qui devrait aller avec. Repérer, c'est bien, encore
faut-il aussi remédier. Nous devons avoir l'obsession permanente
et absolue d'empêcher un enfant de se noyer.
N. O.
- En matière d'évaluation, reste le délicat sujet des personnels
de l'Education nationale. A l'occasion du projet de nouveau statut
des chefs d'établissement, le Snes aurait déjà annoncé qu'il pourrait
« mettre le feu dans les établissements » si ceux-ci avaient leur
mot à dire dans le recrutement et l'évaluation des enseignants...
Une
occasion de plus pour les détracteurs de l'école d'invoquer la
cogestion avec les syndicats ?
J. Lang.
- Tout le monde reconnaît que les chefs d'établissement sont la
pièce maîtresse de notre système. Les améliorations que nous apportons
à leur statut visent simplement à leur permettre de renforcer
leur rôle d'animateur et de coordinateur de l'action pédagogique.
Si nous continuons à les recruter massivement chez les enseignants,
c'est bien parce que nous pensons qu'ils ne peuvent être simplement
des « administrateurs ». S'agissant de l'évaluation des enseignants,
nous disposons de corps d'inspection de grande qualité, un peu
oubliés ces dernières années. Mon message à leur égard, transmis
sans relâche ces dernières semaines lors de rencontres avec eux,
est clair : pour le bien des élèves, soyez exigeants pour le respect
de nos règles nationales tout en libérant les initiatives. L'autorité
morale ne se décrète pas par décision ministérielle. La force
d'une équipe ne se proclame pas. Elle se conquiert par le travail,
la rigueur et l'enthousiasme, j'en ai plus que jamais l'intime
conviction après mes visites sur le terrain.
N. O. -
En somme, pas de changement de structure, pas de grande réforme,
mais plutôt des incitations, des facilités pour changer et innover
? Or les Français attendent des réformes, paraît-il, qu'ils y
mettent un contenu ou non...
J. Lang.
- Non, les Français attendent avant tout une école qui éduque,
forme et épanouisse les enfants. Vous l'aurez sans doute remarqué,
les changements de structure sont le plus souvent l'illustration
de l'impuissance publique : on s'y noie, on y consacre des sommes
d'argent considérables et finalement on ne touche à rien, sauf
à créer de l'angoisse. Je crois plutôt qu'il faut prendre les
êtres humains tels qu'ils sont et essayer de trouver comment créer
une dynamique positive, insuffler un regain d'énergie, une volonté
d'action, de progrès et de changement... Mon ambition est de réaliser
une révolution pacifique de notre école.
N. O.
- L'évaluation des établissements vous semble-t-elle satisfaisante
?
J. Lang.
- Oui et non : il est bon que depuis plusieurs années on n'évalue
plus les lycées à partir du seul taux de réussite au baccalauréat
et qu'on utilise des éléments plus pertinents, comme la valeur
ajoutée par l'établissement ou la proportion d'élèves de seconde
allant jusqu'au baccalauréat. Ainsi, un établissement avec une
forte proportion d'élèves issus de milieux défavorisés, qui amène
un fort taux de ses élèves au bac, a sans doute plus de mérite
que certains grands lycées parisiens qui écrèment dès la seconde
et qui atteignent ainsi une réussite maximum à l'examen. Mais
il faudrait davantage compléter ces indicateurs par des évaluations
plus qualitatives et approfondies. Surtout, j'aimerais qu'on utilise
ces évaluations pour aider les établissements à progresser et
à définir leur projet.
N. O.
- En attendant d'arriver à un suivi d'élèves aussi fin, le ministère
dispose quand même d'une série de données intéressantes que chaque
proviseur transmet sur sa maison : pourquoi ne pas les rendre
publiques ?
J. Lang.
- Mais une partie sont déjà publiques, disponibles sur internet
et d'ailleurs elles enrichissent les palmarès et les classements
que publient plusieurs journaux, à commencer par le vôtre. Ces
journaux ont un rôle pédagogique vis-à-vis de l'opinion. Ils ne
doivent pas conduire à stigmatiser certains établissements, ils
doivent aussi servir à prendre conscience du caractère multidimensionnel
de l'évaluation, ils doivent faire prendre conscience que l'évaluation
d'un établissement ne peut se faire sur un seul critère. Cela
dit, vous avez raison, il faut diffuser plus de données sur les
établissements : on favorise ainsi une plus grande transparence
et par là-même l'égalité entre les élèves. On ne ferait qu'appliquer
les lois de décentralisation qui demandent à chaque établissement
de faire un bilan annuel à destination des autorités de l'Etat
et des collectivités territoriales. Ce bilan pourrait être public
et être inclus dans les documents de présentation de l'établissement
que beaucoup de chefs d'établissement mettent à la disposition
des parents.
N. O.
- Que faire des établissements qui vont mal ? Les fermer - comme
le prétendent certains experts -, car trop englués dans des ghettos
urbains ? Les doter d'une sorte de plan Marshall, au risque de
les stigmatiser et d'accroître la fuite des familles les plus
favorisées ? La transparence a ses effets négatifs.
J. Lang.
- Pas question de les laisser à la dérive, ils ont d'abord besoin
d'un appui supplémentaire. Il faut justement disposer d'une évaluation
objective et partagée par les différents acteurs pour trouver
des solutions efficaces et adaptées à chaque cas. Il faut aussi
apporter un soin particulier à la constitution d'équipes pédagogiques
et à la qualité souvent déterminante des chefs d'établissement.
Mais vous avez raison de mentionner les quartiers qui sont l'objet
d'un véritable apartheid et où l'école se voit attribuer des responsabilités
qui ne sont pas les siennes. Nous ne viendrons à bout de ces ghettos
que par une politique radicalement nouvelle d'aménagement du territoire
et de mixité sociale des populations. Il faudrait réunir dans
une même main l'urbanisme, l'architecture, la politique des banlieues,
le logement.
N. O.
- Que penser du plan pluriannuel de recrutement que vous venez
d'annoncer ? Si l'on ajoute l'augmentation du budget, tout le
monde a compris que la période des vaches maigres était terminée.
« On continue d'arroser le sable », diront les libéraux de service.
A-t-on fait une bonne évaluation des besoins de l'école en enseignants
?
J. Lang.
- Nous sommes un des rares pays européens de l'OCDE à maintenir
le cap et à augmenter encore l'investissement éducatif. Cela est
visible à travers le budget 2001 et le sera à travers le plan
pluriannuel. Le taux d'encadrement s'est amélioré depuis 1997
pour tous les ordres d'enseignement. Ce plan pluriannuel est sans
équivalent. La gestion de l'Education nationale, de ses budgets
et de ses politiques est trop souvent en dents de scie. Avec le
Premier ministre, nous avons souhaité nous projeter dans le futur
et dessiner à partir de ce plan pluriannuel une nouvelle ambition
pour l'Education nationale. Les dix ans qui viennent seront plus
riches de changements que les dix années précédentes : un professeur
sur deux partira en retraite et sera remplacé ; les nouvelles
technologies transformeront la pédagogie ; les lycéens et les
étudiants seront appelés à s'ouvrir sur l'Europe et sur le monde.
Nous devons gagner ce pari du rajeunissement et de la modernisation.
Après les dix années de démocratisation sans précédent, les dix
années à venir devront être consacrées à la recherche d'une plus
haute exigence scientifique, intellectuelle et pédagogique. L'école
républicaine doit être une école de la réussite au plus haut niveau
de qualité pour chacun. Ainsi mettrons-nous en valeur notre plus
riche ressource : le capital humain. C'est le meilleur antidote
à la mondialisation et à l'uniformisation. Par ce plan pluriannuel,
le Premier ministre nous donne une chance de gagner la guerre
culturelle à laquelle nous sommes confrontés.
N. O.
- Certes, mais il n'en reste pas moins que les évaluations existantes
nous disent que, contrairement à la plupart des pays développés,
un étudiant de l'université est beaucoup moins bien traité qu'un
lycéen (2). Que peut le politique pour rendre plus équitable le
traitement respectif de chacun d'eux ?
J. Lang.
- D'abord, cela veut dire que notre lycée est bien traité, souvent
mieux qu'à l'étranger, et d'ailleurs il a de meilleurs résultats
que dans beaucoup de pays. Vous oubliez d'évoquer l'extraordinaire
réforme que le pays et les universités elles-mêmes ont accompli
pour accueillir des masses nouvelles d'étudiants, le tout sans
dégrader ni leur condition ni la qualité de l'enseignement et
de la recherche universitaire, malgré les restrictions opérées
par la droite. Notre université va bénéficier d'un double effort
pluriannuel, en matière d'emploi et de recrutement, et en matière
d'investissement avec le plan U3M (50 milliards de francs entre
l'Etat et les collectivités locales). Pour la première fois, la
région parisienne comme la Ville de Paris font un effort important
dans ce domaine. Comme entre 1988 et 1993, nous rattrapons progressivement
le retard.
N. O.
- Est-ce seulement de postes dont l'école a besoin pour changer
? Rappelons que la part des dépenses de personnel dans le budget
de l'école ne cesse d'augmenter, 95% du budget du ministère aujourd'hui,
alors que le nombre des élèves baisse...
J. Lang.
- Je crois avoir été le seul ministre qui, au lieu de se focaliser
sur les seuls emplois, a fait augmenter très fortement les crédits
pédagogiques de 370 millions de francs, soit plus de 22% dans
ce budget. Ce sont des crédits d'innovation.
N. O.
- Au total, la marge de manoeuvre d'un ministre, doté de bonnes
expertises, mais confronté à l'éternelle fièvre éducative, existe-t-elle
vraiment ?
J. Lang.
- Un ministre, surtout s'il dispose de bonnes expertises et d'un
juste diagnostic, dispose t oujours d'une marge de manoeuvre lorsqu'il
sait mobiliser l'ensemble des acteurs et valoriser les réalisations
positives. Les mesures déjà annoncées en juin sur l'école ou le
lycée montrent qu'il est possible de réformer dans un climat serein.
(1) « La
Réduction des inégalités sociales devant l'école depuis le début
du siècle », par Claude Thélot et Louis-André Vallet, « Economie
et statistiques » n¡334, Insee, 46 F.
(2) La
dépense moyenne consacrée à un étudiant de l'université (hors
écoles d'ingénieurs et IUT) est de 41 000 francs par an, contre
50 000 pour un élève d'un lycée d'enseignement général (62 000
en lycée technologique). Propos recueillis par Anne Fohr et laurent
joffrin
L'ETAT
DE L'ECOLE
Un bachelier coûte 550 000 F à la collectivité
Voilà
douze ans que le ministère de l'Education a mis sur pied rue de
Grenelle une direction assurant le rôle d'un observatoire de l'école
et publiant une série d'études et de bilans sur l'état des troupes
- 14 millions d'élèves et de salariés -, leurs activités et leurs
résultats. Ces travaux furent d'abord aussi techniques que les
expertises de l'Insee, puis vint en 1992 le premier recueil de
données enfin abordable, « l'Etat de l'école »(1),
avec en exergue cette phrase de Paul Valéry : « Ce qui est simple
est toujours faux ; ce qui ne l'est pas est inutilisable. »...
Depuis, les chercheurs n'ont cessé de travailler pour approcher
certaines réalités et en rendre compte avec nuances. Ainsi nous
ont-ils permis de découvrir qu'un élève de maternelle décrochant
un bac général ou technologique quinze ans plus tard coûte 550
000 francs à la collectivité !
Au rythme des deux tiers d'une génération accédant progressivement
au niveau du bac, il n'est donc pas étonnant qu'il ait fallu pendant
vingt ans augmenter les crédits de l'école plus vite que la croissance
nationale. Au milieu des années 90, ces experts ont réussi à pondérer
les résultats au bac de chaque lycée en fonction de son public
scolaire, progrès non négligeable qui donne un aperçu des performances
véritables de nos établissements. Cette année, nous a été donné
le premier aperçu des heures d'enseignement non assurées (6% dans
le second degré). Côté analyses, ils ont détaillé les avancées
et les reculs des élèves sur certains points, et les ratés de
la démocratisation, le tout sans catastrophisme ou cocorico mal
placé.
Sous Claude
Allègre le service de l'Evaluation avait été mis en veilleuse
et quasiment annexé au cabinet comme service de planification
(et de renseignements express !) plutôt que d'expertise. Le ministre
avait cependant lancé l'idée d'une boutique indépendante du ministère,
son successeur l'applique. Sous la présidence de Claude Thélot,
ancien directeur de l'Evaluation, une équipe de 35 personnes,
d'horizons divers, parmi lesquels trois experts étrangers, panacheront
leurs propres études et celles demandées par les politiques. Le
seul problème est de savoir comment nos ministres tiendront compte,
face aux lobbies en tout genre, des résultats qui en sortiront.
(1) Le
n¡ 10 est paru en octobre. Consultable sur le Net : http://www.education.gouv.fr
Nouvel Observateur - N°1880