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 "On nous propose de faire des choses passionnantes, mais les moyens seront insuffisants" 
• LE MONDE - 02.10.01

BOURGES

Un vif intérêt et un profond scepticisme: tels sont les deux sentiments suscités, ce vendredi matin, dans la salle des professeurs de l'école Carolus à Bourges (Cher) par le projet des "nouveaux programmes de l'école primaire". "On nous propose de faire des choses passionnantes, mais on devine à l'avance que les moyens pour y parvenir seront insuffisants", dit un instituteur. "Beaucoup d'idées, de pistes nouvelles, mais personne ne sait comment on pourra les mettre en œuvre", ajoute une institutrice.

Une douzaine de maîtres et de maîtresses sont réunis pour étudier le document. Comme dans le reste du territoire, le ministère a accordé une journée complète – sans les élèves, dispensés de cours – pour permettre la consultation. Il a donné la consigne de renvoyer, le soir même si possible, une synthèse des remarques. Pour y parvenir, les enseignants, qui exercent en CE2, CM1 et CM2, se sont séparés en trois groupes chargés d'explorer chacun une partie du programme.

L'intérêt vis-à-vis des programmes est intellectuel ou pédagogique, le scepticisme est d'ordre matériel ou pratique. Beaucoup de propositions contenues dans le document trouvent un écho immédiat. Déterminer précisément quelles sont les compétences attendues pour chaque élève ? Oui. Insister, de manière permanente et pas seulement dans une seule discipline, sur la maîtrise du langage ? Oui. Accorder une place accrue à l'expression orale ? Positif. Multiplier les lectures "à haute voix" ? Très bien. Donner sa place à l'éducation civique tout au long de l'année ? Favorable. Faire lire une dizaine de livres par an à chacun des élèves ? Volontiers. Proposer, parmi ceux-ci, deux "classiques" au moins? Plus compliqué mais intéressant. "Le plus important est de donner le goût de la lecture, de les faire entrer dans le monde du livre. Les auteurs classiques viendront après", explique Liliane Ménager, enseignante en CE2. Quant à l'idée de devoir choisir les textes dans une liste proposée par le ministère, la proposition fait frémir une partie des enseignants. "Depuis combien de temps la personne qui va choisir les livres n'est plus sur le terrain ?", s'interroge une des enseignantes. En mathématiques également, l'abandon d'une partie des opérations de division est critiqué. "Alors que l'euro se met en place, on va arrêter de traiter les divisions où le résultat présente une décimale. C'est étrange", souligne Jacques Motré, professeur dans une classe de CM1-CM2.

TOUJOURS PLUS DE POLYVALENCE

Mais les difficultés viennent surtout de la mise en œuvre. "Ils font sans cesse référence à Internet. Mais nous ne sommes même pas connectés !", s'insurge un professeur de CM2 devant les six postes de la salle informatique. Idem pour la partie artistique du programme. "Ils défendent une approche sensible, et non plus technique. C'est très bien. Mais, dans le même temps, ils nous demandent de travailler avec des logiciels de création visuelle, avec la vidéo ou des appareils numériques. Il y a une contradiction entre la modernité de ce qu'on nous demande d'enseigner et l'environnement vieillot dans lequel nous travaillons", tranche une enseignante.

L'autre obstacle tient à la formation des maîtres. Et à une polyvalence toujours autant désirée, mais de plus en plus difficile à maintenir. En plus des disciplines traditionnelles, il faut aujourd'hui être qualifié en langues, en informatique, en arts. "Cela appelle au minimum un effort de formation continue", plaide Georges Lassous.

Alors que l'école est souvent accusée d'immobilisme, eux se plaignent plutôt de l'accumulation des réformes. "On avait été consultés de la même manière pour les programmes du primaire de 1995. On a parfois le sentiment qu'on a à peine le temps de mettre en œuvre de nouveaux textes qu'il faut déjà en changer. Sans avoir évalué les précédents", note un des anciens.

Les professeurs s'interrogent aussi sur l'absence des parents dans ce processus de consultation. Comme de celle des professeurs de collège, alors que l'amélioration de la transition entre le CM2 et la 6e est devenue un objectif officiel. Et ils doutent de l'utilité immédiate de la consultation. L'inspectrice de la circonscription, chargée de résumer les avis donnés par la soixantaine d'écoles sous sa responsabilité, leur a certes promis qu'ils seraient entendus. Mais leurs commentaires servent-ils vraiment à quelque chose ? "On va faire la synthèse de la synthèse de la synthèse. Que restera-t-il à la fin ?", interroge, dubitatif, un professeur.

Luc Bronner