Les formations par Internet entrent peu à peu
dans les entreprises
LE MONDE | 16.08.01 | 14h04
Les cours en ligne ne représentent en France que 5 % à 7 % des
formations dispensées aux salariés. Si l'intérêt pour cette manière
d'apprendre à distance ne cesse de croître, en raison le la généralisation
de l'informatique, le coût en est encore mal évalué.
Alors que les 35 heures et les négociations entre partenaires
sociaux sur la formation professionnelle relancent le débat sur le développement
des formations en dehors du temps de travail, les pratiques émergentes
de formation par Internet bousculent déjà les repères traditionnels
de la formation continue. Individualisée – puisque souvent réalisée
sur le poste de travail – et morcelée en plusieurs séances courtes
dans les intervalles laissés par le travail, la
"e-formation" (e-learning en anglais) peut favoriser
une plus grande flexibilité des temps de formation et une prise en
charge sur le temps personnel du salarié. De quoi venir en écho à
la proposition du Medef d'une formation conçue comme un
investissement partagé en temps et en argent entre le salarié et
l'entreprise. Mais pour l'instant, rien ne permet d'évaluer précisément
les enjeux du e-learning, pour les entreprises comme pour les
salariés.
En dépit de certains avantages prêtés à la formation à
distance, notamment son moindre coût et la possibilité
d'individualiser les contenus de formation en fonction des besoins précis
du salarié, les pratiques en la matière restent tâtonnantes sur
l'ensemble du Vieux Continent. Actuellement, avec un chiffre
d'affaires de 200 millions de francs en 2000, la e-formation représente
en France 5 % à 7 % de l'ensemble des formations dispensées
par les entreprises, bien moins que ne l'envisageaient la plupart des
prévisions.
Pour expliquer la timidité de cette avancée, la plupart des spécialistes
relativisent l'argument d'un coût supposé incitatif pour les
entreprises. Si les économies réalisées sur le budget consacré au
transport, à l'hébergement des salariés, au paiement des formateurs
sont bien réelles, les investissements initiaux à fournir pour développer
ces dispositifs sont lourds : conception ou achat du produit, développement
de la plate-forme technique, entretien d'une équipe de formateurs,
car les formations sont généralement tutorées, c'est-à-dire
accompagnées de tuteurs, soit présents lors de la formation soit
joignables par téléphone ou sur un forum. Au final, la prestation
peut revenir aussi cher qu'une formation traditionnelle.
C'est pourquoi ce sont surtout les grandes entreprises qui ont
recours aux e-formations, souvent conçues en interne, car elles
peuvent les amortir à grande échelle : dans une étude réalisée
par le cabinet de consultants PriceWaterhouse Coopers en partenariat
avec la CCIP auprès de 193 entreprises, 83 % de celles qui
ont recours au e-learning comptent plus de 1 000 salariés.
Et parmi elles se trouvent surtout des entreprises qui possèdent déjà
dans leur cœur de métier des compétences réseau : les
secteurs des télécommunications, de la banque et de l'assurance sont
en tête des pratiques de formation sur Internet. L'espoir de réaliser
à terme des économies de coût sur la formation peut certes
constituer une incitation à se lancer dans le e-learning, mais
le résultat n'est pas encore probant.
L'émergence du e-learning semble liée plus
fondamentalement à la généralisation de l'utilisation de
l'informatique dans les situations de travail. Pour maîtriser le système
d'information technique d'une entreprise, l'entraînement en situation
de travail, avec les mêmes données que celles utilisées avec les
clients ou les collègues, est conçu comme une garantie d'efficacité
par rapport à une formation d'une semaine dans un organisme extérieur.
De plus, la diffusion de l'information est rapide et uniforme, point
important pour les groupes multisites qui sont les principaux
utilisateurs des dispositifs de formation à distance.
"Lorsqu'un grand groupe pharmaceutique sort un nouveau
produit, il a besoin que la gestion des bases et les argumentaires de
vente relatifs au produit soient standardisés rapidement dans ses
filiales. La mise à disposition sur son Intranet de formations
techniques et commerciales interactives peut être un outil très
efficace", analyse Christophe Parmentier, de PriceWaterhouse
Coopers. Le e-learning est également développé dans les
services qui utilisent Internet dans leurs relations avec leurs
clients, comme le télébanking dans les banques ou les
assurances. Les salariés se forment à l'usage d'Internet... sur
Internet, ce qui rejoint le principe du e-learning : la
formation aux outils de travail sur les outils mêmes. En tête des
formations à distance, on trouve ainsi la bureautique et
l'informatique, dont les contenus, à la différence des pratiques
professionnelles, sont facilement codifiables.
Peu développé jusqu'à présent, le secteur de la formation à
distance suscite néanmoins l'intérêt croissant des entreprises, des
cabinets de consultants et même des responsables politiques. La
Commission européenne a ainsi lancé en mars un plan d'action de
trois ans en faveur du e-learning, dans une volonté affichée
de lier l'éducation tout au long de la vie et l'utilisation des
technologies de l'information et de la communication. Pour les
entreprises qui offrent des prestations en ligne, le marché est
prometteur : 14 milliards de francs de chiffre d'affaires en
Europe en 2004, dont 1,6 milliard en France, d'après le cabinet
d'études IDC. Les organismes traditionnels de formation, telle la
Cegos, le plus gros acteur privé du marché, se sont donc rapidement
adaptés et mettent en ligne l'ensemble de leurs prestations. Mais ils
sont désormais concurrencés par des start-up spécialisées et des
grands groupes qui commercialisent leurs produits de formation testés
préalablement en interne, à l'instar d'IBM, d'Arthur Andersen ou de
France Télécom.
S'il est encore trop tôt pour dire si l'e-formation va bouleverser
les modalités d'acquisition des connaissances, il est d'ores et
déjà acquis qu'elle va modifier radicalement l'environnement économique
des organismes qui les dispensent.
Stéphanie Laguérodie
Les capacités d'apprentissage "en virtuel"
La bataille pédagogique autour du multimédia n'est évidemment
pas absente du débat sur l'efficacité de la formation à distance.
Peu de preuves permettent de trancher entre les personnes qui pensent
que se former sur l'ordinateur avec des programmes interactifs développe
l'autonomie et la motivation du salarié et ceux pour qui ces
situations de solitude distraient et démotivent l'apprenant. Il est
reconnu tout de même que l'accompagnement de la formation par un
formateur constitue un élément favorable.
Par ailleurs, l'institut de psychologie du travail de Zurich a
conclu d'une étude comparative entre différents modes de formation
que les activités pratiques étaient altérées par l'enseignement
uniquement virtuel en raison d'une trop grande simplification des tâches
par les outils de simulation.