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Les six scénarios de l'OCDE pour l'école de demain

LE MONDE | 11.04.01 | 13h59 | analyse

LES MILITANTS antimondialisation pourront puiser dans le dernier rapport de l'OCDE sur l'éducation de nouveaux motifs de grogne. Alors que les ministres de l'éducation des pays membres de l'organisation internationale se sont réunis du 2 au 4 avril à Paris, le centre pour la recherche et l'innovation dans l'enseignement de l'OCDE leur a livré ses réflexions sur le devenir de l'école dans les quinze à vingt ans qui viennent. Six scénarios ont été élaborés, parmi lesquels les "mécanismes du marché" tiennent un rôle souvent prépondérant. L'OCDE ne prétend pas livrer de "prédictions analytiques"mais estime que, selon les orientations politiques choisies par les gouvernements, l'école connaîtra de manière plus ou moins "plausible" l'une des évolutions décrites.

La première ne fait qu'entériner la situation que connaissent aujourd'hui la plupart des pays étudiés : en dépit des critiques de plus en plus vives exprimées par "les  parents, les employeurs et les médias", l'école fait montre d'une résistance acharnée à tout changement. Le modèle éducatif dominant reste celui d'"un enseignant par classe" ; l'utilisation croissante des nouvelles technologies n'entraîne pas de transformation radicale des méthodes d'enseignement. Les diplômes sont "de plus en plus indispensables mais de moins en moins suffisants". Ce statu quo généralisé se révèle d'autant plus préoccupant  que, malgré les initiatives prises par les gouvernements pour améliorer le système éducatif, les inégalités devant l'enseignement demeurent tenaces. Enfin, la "pression de la mondialisation" commence à se faire sentir, notamment en termes de "performances éducatives".

Face à l'insatisfaction croissante des contribuables "consommateurs d'école", les pouvoirs publics sont alors tentés de donner davantage de place au marché ; dans le deuxième scénario, ils encouragent le financement de nouveaux prestataires, "professionnels de l'enseignement", favorisant même "l'école à la maison". De l'avis même de l'OCDE, cette dérégulation accroît les risques d'inégalités et de relégation d'une partie de la population scolaire, en particulier dans le second degré. Les programmes nationaux définis en fonction des contenus d'enseignement disparaissent progressivement au profit de programmes qui prennent en compte des compétences telles que "l'attitude face au risque, l'acharnement au travail...".

Les scénarios trois et quatre illustrent un virage à 180 degrés : l'école conserve un niveau de confiance élevé, un financement public prépondérant et un cadre national fort. "L'école est reconnue comme le rempart le plus efficace contre la fracture sociale et la crise des valeurs", note l'OCDE. Dès lors, les "ratés" de l'institution sont moins tolérés et doivent être corrigés. Les inégalités sont réduites. Les enseignants, mieux payés, sont amenés à exercer des missions "d'intérêt collectif" ; le travail en équipe est la norme. Les écoles sont ancrées dans leur environnement local et pilotent la "formation tout au long de la vie", que la plupart des pays appellent de leurs vœux. Les programmes demeurent exigeants et centrés sur les savoirs. Les entreprises investissent fortement dans l'école, mais un contrôle étroit s'efforce de réduire les écarts entre les établissements. Ces évolutions, présentées comme idéales, sont jugées "irréalistes"par l'OCDE.

"SOCIÉTÉ EN RÉSEAU"

En revanche les deux derniers scénarios, amplement fondés sur la "déscolarisation" des populations concernées par l'école, paraissent "plausibles" aux experts de l'OCDE. Soumis à des critiques extrêmement violentes, les systèmes éducatifs laissent la place à d'autres formules d'enseignement, privées et individualisées. L'Internet et les nouvelles technologies favorisent ce qui, selon l'OCDE, s'apparente à un "démantèlement" des systèmes scolaires et ouvrent la voie à  la "société en réseau". Cette évolution signe l'exclusion de tous ceux qui comptaient sur l'école pour s'intégrer et se socialiser. Car, même si quelques écoles publiques subsistent "pour les exclus du numérique", elles courent le risque de se transformer en "dépotoirs". Les sources de financement se diversifient : les entreprises et les médias intensifient leur présence sur le marché de l'éducation. Les enseignants sont recrutés par les grands opérateurs du marché.

L'émergence de cette nouvelle génération d'"enseignants" est censée répondre à l'un des problèmes majeurs des années à venir : la pénurie annoncée de professeurs. Dans la majorité des pays de l'Union européenne, plus d'un cinquième des enseignants en activité prendront leur retraite dans dix ans. L'OCDE relève, à juste titre, le manque d'anticipation de nombreux pays pour résoudre cette crise. A terme, les gouvernements seront contraints à des augmentations de salaires et tenteront même de convaincre les enseignants retraités de revenir à l'école ! Pourtant, seuls les endroits "où il est facile d'enseigner" continueront à recruter aisément. Partout, le recours aux nouvelles technologies tendra à pallier le manque de professeurs.

Optimiste, l'OCDE imagine que cette crise déclenchera une vague "d'innovations et de transformations radicales". Pragmatique, elle suggère néanmoins aux Etats de réfléchir à "une stratégie pour accroître l'offre d'enseignants". Sceptique, elle conclut en se demandant "comment attirer du sang neuf dans les rangs des enseignants ". En France, le gouvernement s'apprête à lancer une campagne de publicité pour tenter de contrecarrer la crise des vocations...

Stéphanie Le Bars

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