Avec
673 milliards de francs en 2000, la France n'a jamais
autant investi dans l'éducation. Mais la manne est loin
d'être équitablement répartie. Les chiffres exclusifs
et le palmarès des inégalités
«Vous
ne trouvez pas qu'il ressemble à un beau navire?» Marie-Claire
Lafontaine, principale du collège Maréchal-Leclerc,
à Puteaux (Hauts-de-Seine), est fière de son bâtiment
flambant neuf. Après deux années de travaux, l'établissement
a rouvert ses portes en janvier dernier et accueille
depuis cette rentrée 635 élèves. Enchâssé entre le boulevard
circulaire et les tours de bureaux de la Défense, ce
collège ressemble à un havre de paix. Murs blancs impeccables,
façades lumineuses, larges couloirs, vastes salles de
classe, centre de documentation bien équipé. La cantine
et le gymnase sont en cours de finition. Dans l'une
des salles d'informatique, un technicien installe des
dizaines d'ordinateurs, imprimantes et scanners, tout
juste sortis de leurs cartons. «Nous avons des moyens
pour bien travailler», estime Florent Rogie, professeur
de sciences de la vie. «Je ne regrette pas d'avoir été
nommé dans ce département», avoue cet enseignant, arrivé
l'an passé du sud de la France.
Les élèves et les personnels des collèges des Hauts-de-Seine
ne sont, en effet, pas les plus à plaindre. Selon une
étude réalisée cet été par le ministère de l'Education
nationale, que L'Express révèle en exclusivité (voir
classements et cartes pages 134 et 138), les Hauts-de-Seine
figurent, juste derrière le Var, en tête des départements
pour les investissements scolaires, avec une moyenne
de 102 865 F dépensés par collégien, entre 1988 et 1998.
Soit huit fois plus que le département le plus économe!
A ces investissements colossaux s'ajoutent des aides
massives au fonctionnement: 3 759 F attribué par an
et par collégien, presque deux fois plus que la moyenne
nationale.
Privilèges de riches? «D'autres départements à gros
potentiel fiscal font beaucoup moins que nous, proteste
Charles Pasqua, président du conseil général. Ici, nous
avons donné une vraie priorité à l'éducation, qui va
bien au-delà de nos obligations, avec des doubles jeux
de manuels scolaires pour les élèves de sixième, l'emploi
de médiateurs, du soutien pédagogique, des aides culturelles.»
La réalité de ces chiffres bouscule bien des idées reçues.
Avec des dépenses totales d'éducation qui ont atteint
le chiffre record de 673 milliards de francs l'an passé,
soit 7,1% de la richesse nationale, la France n'a jamais
tant investi dans son avenir. Mais cette manne qui irrigue
les établissements scolaires est loin d'être équitablement
répartie: mieux vaut être écolier dans le Ve arrondissement
parisien que dans une commune rurale du Pas-de-Calais,
collégien à Toulon plutôt qu'à Cherbourg, lycéen à Tours
plutôt qu'à Nancy. Pis: les moyens supplémentaires accordés
aux établissements des zones d'éducation prioritaire
(ZEP), pour former les élèves des banlieues difficiles,
font pâle figure comparés aux subsides distribués dans
tel ou tel département généreux (voir l'article de Claire
Chartier page 136).
Les lois de décentralisation votées au début des années
1980 ont, bien sûr, ouvert la voie à ces politiques
disparates. Les tâches sont réparties ainsi: l'Etat
s'occupe des programmes et paie le personnel; les communes
gèrent les écoles maternelles et élémentaires; les départements
ont la charge de l'entretien des collèges et du transport
scolaire et les régions s'occupent des lycées. Le système
a des avantages. «Avant, pour une moindre fuite d'eau
dans un établissement, il fallait prévenir le ministère
de l'Education nationale, raconte Yannick Bodin, vice-président
(PS) du conseil régional d'Ile-de-France. Aujourd'hui,
nos équipes interviennent directement et nous pouvons
évaluer les besoins au plus près.» La plupart des élus
sont attachés à ces prérogatives: «Il faut qu'il y ait
des standards nationaux, commente Jean-Pierre Raffarin,
président de la région Poitou-Charentes. Mais on ne
va pas reprocher aux collectivités locales de faire
des choix différents en matière d'investissements. C'est
la démocratie!»
Aux yeux de certains spécialistes, ces questions financières
sont même sans grande importance. «Les inégalités scolaires
régionales demeurent sensibles, mais elles diminuent,
estime Claude Thélot, président du Haut Conseil de l'évaluation
de l'école. La force régulatrice du système français
tient non pas aux bâtiments, dont la gestion a été confiée
aux collectivités locales, mais à la qualité de l'acte
pédagogique dispensé par un corps professoral toujours
formé et payé par l'Education nationale.» L'égalité
des chances sauvée par le ministère et sa cohorte de
950 000 fonctionnaires dévoués? Peut-être. Mais le «mammouth»
ne fait pas toujours dans la dentelle. Il dépense l'enveloppe
annuelle de 350 milliards de francs destinée à l'enseignement
scolaire sans y regarder de trop près. Contribuant lui-même
à alimenter des inégalités régionales.
Selon les dernières enquêtes du ministère, le coût moyen
d'un élève supporté par le budget de l'Etat s'échelonne,
curieusement, de 21 554 F dans le Nord-Pas-de-Calais
à 31 252 F dans la zone Antilles-Guyane (voir la carte
ci-contre). «Ces coûts ont légèrement augmenté ces dernières
années, sans que les écarts bougent vraiment», constate
un responsable de la Direction de la programmation et
du développement (DPD), le service statistique maison.
Facteurs objectifs
Ses experts avancent quelques raisons objectives à ces
différences qui résistent au temps. Première d'entre
elles: le quasi-doublement des salaires versés aux personnels
enseignants affectés dans les départements d'outre-mer
fait grimper les factures pour les Antilles, la Guyane
et la Réunion. Justifié? Les candidatures à la délocalisation,
en tout cas, abondent...
Deuxième explication: dans les régions rurales (comme
la Corse, le Limousin, l'Auvergne), la taille plus petite
des établissements et des classes alourdit les charges
d'encadrement. «Si l'on veut maintenir des écoles primaires
ouvertes dans les villages, avec cinq niveaux pour moins
de 100 enfants, il faut en payer le prix, mais cela
peut se défendre au nom de l'aménagement du territoire»,
estime un haut fonctionnaire.
Troisième facteur, plus discriminant: les dépenses de
personnel, qui représentent 95% du budget du ministère,
varient énormément selon les régions. En effet, comme
le système d'avancement prend en compte l'ancienneté,
plus que la qualité du travail, les jeunes enseignants,
peu payés, se retrouvent principalement nommés dans
le Nord ou en banlieue parisienne, alors que les enseignants
plus âgés, mieux rémunérés, migrent doucement vers le
soleil. Résultat: les élèves du Sud sont mieux encadrés
par des profs plus expérimentés. Et les charges salariales
sont nettement plus pesantes dans les académies d'Aix-
Marseille, de Montpellier ou de Toulouse qu'à Amiens,
à Lille ou à Créteil! Dernier facteur, modérateur celui-là:
la présence d'un important secteur privé sous contrat,
avec des enseignants moins diplômés et moins protégés,
freine les coûts scolaires, par exemple en Bretagne
et dans les Pays de la Loire.
On le voit, ces éléments n'obéissent pas tous, loin
s'en faut, à une logique de redistribution! Et ils n'expliquent
pas pourquoi un élève de Provence-Alpes-Côte d'Azur
coûte 14% de moins que son homologue de Midi-Pyrénées.
Ni au nom de quoi l'Etat dépense 10% de plus en Lorraine
qu'en Alsace. «Au fond, personne ne peut répondre vraiment
à ces questions. Et c'est bien là l'un des problèmes
de ce ministère bureaucratique», avoue un familier de
la maison.
A ces mystères budgétaires du «mammouth» sont venues
s'ajouter, ces dernières années, les interventions des
collectivités locales, de plus en plus sollicitées pour
régler la note de l'école: depuis 1975, leur part dans
les dépenses d'éducation (y compris l'enseignement supérieur)
est passée de 14% à 21%, pour dépasser les 140 milliards
l'an dernier. Or leurs efforts très variables ne peuvent
qu'aviver les critiques sur de nouvelles inégalités
scolaires.
Les quelque 2 millions de lycéens ne sont pas les plus
mal lotis, depuis que les conseils régionaux s'occupent
de leurs établissements. Selon les calculs du ministère,
plus de 135 milliards de francs ont été mobilisés, entre
1988 et 1998, pour rénover ou construire des lycées.
La dépense moyenne atteint 68 000 F par lycéen, avec
un plancher de 38 000 F en Lorraine et un plafond de
89 000 F dans le Centre (voir la carte page 132). «Il
faut voir dans quel état lamentable le ministère nous
a laissé son parc immobilier. Nous avons dû tout rénover
de A à Z», lâche Jean-Pierre Raffarin, président de
l'Association des régions de France. Selon lui, ces
efforts sont loin d'être achevés: «Même si le nombre
de lycéens reste stable, les régions vont encore investir
près de 20 milliards de francs par an pour mettre les
bâtiments aux nouvelles normes de sécurité et améliorer
la qualité de la vie de leurs usagers.» Pour la seule
rentrée 2001, le conseil régional de Poitou-Charentes
a engagé des travaux dans 25 lycées sur les 122 dont
il a la charge. Et il aligne des subventions de fonctionnement
record, de plus de 2 800 F par lycéen chaque année (voir
la carte de droite, ci-dessus). «Pas question de relâcher
nos efforts», confirme, de son côté, Roland Babe, directeur
des lycées de la région Centre, championne hexagonale
des investissements. Au programme: 660 millions de francs
de travaux prévus cette année, 30 gros chantiers d'ici
à 2006, le câblage de tous les lycées, des achats d'ordinateurs
afin de porter le parc à 21 000 postes pour 80 000 lycéens...
Même les «retardataires» ne veulent pas laisser dire
qu'ils ont traîné les pieds. «Nous avons plutôt transformé
les bâtiments existants que construit des lycées neufs,
ce qui nous a coûté beaucoup moins cher, explique Serge
Villot, chargé de la politique éducative au conseil
régional de Lorraine. Et nous dépensons beaucoup sur
l'équipement informatique, l'aménagement de salles de
vie pour les lycéens, l'apprentissage des langues...»
Surenchères régionales
En Ile-de-France, les «affaires» de commissions auxquelles
ont donné lieu les 28 milliards de francs investis dans
les lycées sous la présidence du RPR Michel Giraud n'ont
pas empêché son successeur, le socialiste Jean-Paul
Huchon, de poursuivre une politique active: «Nous avons
prévu de rénover 175 établissements sur nos 466 lycées
publics d'ici à 2004. Nos investissements, que personne
ne conteste, vont donc augmenter fortement, pour atteindre
15 milliards en six ans», précise Yannick Bodin. Et
le conseil régional met en avant les aides versées aux
lycées situés dans les ZEP, les chéquiers-culture, l'édition
d'un guide du lycéen.
Les régions se livrent même à une surenchère sur un
sujet qui n'est, a priori, pas de leur compétence: les
subventions pour les manuels scolaires. Le Centre a
ouvert le feu en 1998, suivi par Provence-Alpes-Côte
d'Azur, l'Ile-de-France, la Lorraine, la Haute-Normandie...
Chacun avec sa méthode et des montants différents. «Fournir
gratuitement les manuels est une bonne idée. Mais, dans
la pratique, cela part dans tous les sens, au risque
de créer de nouvelles inégalités», tempête Georges Dupon-Lahitte,
président de la FCPE, l'une des principales associations
de parents d'élèves, qui a demandé au ministre Jack
Lang d'y mettre bon ordre.
Lorsque l'on pousse la porte des collèges, qui accueillent
3,5 millions d'élèves, la situation paraît beaucoup
moins mirifique. Tout d'abord parce que les sommes investies
par les départements depuis 1988, soit 85 milliards
de francs, sont nettement plus modestes: 33 840 F par
collégien, contre le double pour chaque lycéen. Ensuite,
parce que les écarts vont de 1 à 9, entre les plus dépensiers
et les plus économes: 106 242 F par collégien dans le
Var, contre seulement 12 133 F dans les Ardennes. Où
l'on se défend de toute pingrerie: «Nos collèges n'étaient
pas en trop mauvais état, ce qui nous a permis de limiter
nos investissements», plaide Olivier Culot, chef du
bureau des affaires scolaires au conseil général des
Ardennes, dont les aides au fonctionnement sont, elles,
beaucoup plus confortables. Le palmarès des investisseurs
révèle pourtant de grosses surprises, que ne justifient
ni l'état initial du bâti, ni l'évolution des effectifs
(en forte croissance dans le Sud), ni l'épaisseur du
porte-monnaie. Avec seulement 23 484 F investis par
collégien, la ville de Paris, qui ne manque pas de ressources,
se situe, par exemple, bien au-dessous de la moyenne
nationale! En haut du classement, des départements à
forte croissance démographique (Var, Gard) et quelques
«riches» (Hauts-de-Seine, Yvelines, Haute-Garonne, Gironde)
côtoient le Gers et la Lozère. Ce dernier a investi
près de quatre fois plus par collégien que la Creuse!
«A l'exception du collège de Boussac, qu'il faut reconstruire
pour 60 millions, nous n'avons pas de gros besoins»,
assure André Mavigner, vice-président du conseil général
de la Creuse.
Les élus des Alpes-Maritimes, eux, n'ont pas lésiné
sur les rénovations. Mais ils ont dépensé deux fois
moins d'argent que leurs homologues du Var, pourtant
un peu moins riches! Les raisons de l'envolée varoise?
«C'est un choix volontaire en faveur de l'école, explique
Gérard Fabre, président de la commission des collèges
et de l'éducation au conseil général du Var. Nous avons
reconstruit 48 établissements sur 64. Et, comme nous
accueillons environ 800 collégiens de plus à chaque
rentrée, eh bien! nous avons lancé un nouveau plan septennal
de 2,6 milliards de francs...»
Reste à savoir quels seront les effets réels de ces
politiques intensives. Dans les Hauts-de-Seine, Charles
Pasqua constate moins de violences et moins de dégradations
dans les collèges rénovés. «Les élèves respectent mieux
les bâtiments neufs», dit-il. L'amélioration des résultats
scolaires est, elle, plus difficile à mesurer: «Les
études montrent que, si les dotations améliorent le
niveau d'acquisition, cet effet est limité en rendement.
Les autres facteurs, comme l'expérience du maître et
la composition sociale du groupe scolaire, sont déterminants»,
juge Jean Bourdon, directeur de l'Institut de recherche
sur l'économie de l'éducation à l'université de Bourgogne.
Autrement dit, rien ne sert de dépenser beaucoup plus
si la pédagogie ne suit pas ou si l'école reste un ghetto
social.
Sans garantir le bonheur des élèves, l'argent y contribue
tout de même... Les habits neufs du collège Maréchal-Leclerc
à Puteaux ont, par exemple, changé la donne. «Auparavant,
les parents fuyaient les écoles de la commune. Maintenant,
les familles veulent revenir chez nous, ce qui favorise
la mixité sociale», se réjouit la principale, Marie-Claire
Lafontaine. «Du coup, l'ambiance est meilleure, l'enseignement
plus facile. Il y a quatre ans, certains parents et
professeurs demandaient que l'on obtienne le label de
zone d'éducation prioritaire. Je n'en entends plus parler
aujourd'hui.»
La jungle du primaire
Les classes maternelles et élémentaires, elles, sont
dans une situation encore plus contrastée que celle
des collèges. Car la loi impose aux communes de subvenir
au fonctionnement et à l'entretien des écoles, du chauffage
aux ramettes de papier. Mais aucune étude exhaustive
n'existe sur ce sujet sensible. «C'est d'autant plus
difficile que les écoles primaires n'ont pas d'autonomie
financière et que les communes peuvent classer leurs
dépenses scolaires sous plusieurs lignes budgétaires,
de l'aide sociale au transport, en passant par le personnel
ou les bâtiments», explique Francis Oudot, président
de l'Association nationale des directeurs de l'éducation
des villes de France, qui vient de mettre au point une
première batterie de critères pour tenter des comparaisons.
Seule certitude: «C'est la jungle, avec des écarts d'au
moins 1 à 10 entre les communes radines qui mégotent
sur les photocopies et celles qui financent des sorties
scolaires à tour de bras», dénonce Nicole Geneix, secrétaire
générale du SnuIPP-FSU, le principal syndicat des instituteurs.
Les écoles primaires de l'enseignement catholique sous
contrat (qui accueillent environ 850 000 élèves) en
savent quelque chose. Censées recueillir le même montant
de «forfait communal» pour leur fonctionnement que les
écoles du secteur public, elles constatent des écarts
incroyables de subventions pour des villes voisines:
645 F par élève de maternelle à Saint-Germain-en-Laye
et 3 000 F à Versailles, 1 560 F à Ussel et 6 282 F
à Brive-la-Gaillarde, 990 F par élève du primaire à
Aubervilliers et 5 168 F à Pantin! «Nous passons un
temps fou à essayer d'y voir clair dans les comptes
communaux», explique Patrice Mougeot, secrétaire général
de l'organisme de gestion de l'enseignement catholique.
Le pire peut côtoyer le meilleur au sein d'une même
ville, comme dans la capitale. Avant de lâcher, en mars
dernier, le fauteuil de maire de Paris, Jean Tiberi
choyait particulièrement les écoles de son Ve arrondissement,
à coups de cantines rutilantes, de subventions généreuses
aux associations, d'investissements prioritaires dans
Internet. Son dernier projet de budget pour 2001 prévoyait
40 opérations de rénovation dans les 18 écoles de son
secteur, pour seulement 52 dans les 68 établissements
du XIXe arrondissement... «Dès l'élection de Bertrand
Delanoë, il a fallu dégager des fonds supplémentaires
pour commencer à rattraper le retard de certains quartiers»,
raconte Eric Ferrand, le nouvel adjoint au maire chargé
de la vie scolaire. Très délabrée, l'école de la rue
de Tanger attend des travaux depuis une dizaine d'années...
Face aux urgences, certaines communes sont confrontées
à des arbitrages cruels. Ainsi à Villejuif (Val-de-Marne),
l'école Robert-Lebon, située au cœur d'un quartier «sensible»,
se dégradait de jour en jour. «On changeait les poubelles
de place pour récupérer l'eau qui fuyait», raconte Martine
Lesquelen, directrice de la section maternelle. En avril
dernier, après des vols répétés de matériel informatique,
une boule de pétanque, lancée d'un immeuble voisin,
a transpercé le toit pour atterrir dans le réfectoire,
heureusement vide à cette heure. «Cela ne pouvait plus
durer», dit l'enseignante. Grève du personnel, manifestation
des parents. En accord avec le rectorat, la mairie de
Villejuif se décide enfin à reconstruire l'école. «Le
projet existait, mais les événements nous ont poussés
à l'accélérer», admet Philippe Le Bris, maire adjoint.
Seul problème: étalé sur deux ans, le chantier va coûter
42 millions de francs. «Notre budget annuel d'équipement
est de 50 millions. Il a donc fallu revoir tous nos
plans d'investissements», explique l'élu. En clair:
retarder des travaux pour une salle de théâtre et une
médiathèque...
Des écoles misérables
A Villejuif, la gestion de la pénurie ne s'arrête pas
là. «Avec une aide communale de 147 F par an et par
élève de maternelle, je ne peux pas faire grand-chose,
note Martine Lesquelen. Si j'achète un téléviseur, je
ne pourrai pas renouveler mes pots de peinture. A moins
de demander de l'aide financière aux parents. Mais je
ne peux pas imposer ces ponctions aux familles démunies
du quartier.»
La misère de certaines écoles rurales est encore plus
terrible. Instituteur fraîchement nommé dans une petite
commune de Champagne-Ardenne, Michel D. a découvert
les joies de la gestion: «Pour mes 40 élèves, je dispose
d'une enveloppe annuelle de 7 000 F pour acheter tous
les manuels, les cahiers, les crayons et les fournitures,
payer les cartouches d'encre de la photocopieuse, le
papier et assurer le fonctionnement administratif de
l'école, y compris les frais postaux.» Sans aucun matériel
pédagogique, Michel D. a fait une croix sur les livres
et les sorties scolaires. Et il n'espère pas d'amélioration:
«La mairie ne veut pas investir, parce qu'elle pense
que l'école va bientôt fermer; et le rectorat ne bouge
pas, parce que la commune ne fait pas d'efforts.» Seule
innovation majeure de cette rentrée: «Jack Lang explique
que toutes les écoles doivent être reliées à Internet.
Moi, je viens juste d'avoir l'eau chaude...»
La semaine prochaine, suite de notre enquête: les
enseignants.
L'Express
du 18/10/2001
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Des
ZEP pas vraiment prioritaires |
par
Claire Chartier
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Créées
il y a vingt ans pour endiguer l'échec scolaire,
elles ne sont guère mieux loties que les
cycles «normaux». Quant au résultat...
Une
nuée de photographes s'engouffre sous le
porche, dans le sillage de Jack Lang. Soudain,
c'est l'ovation: Marcel Desailly, le capitaine
de l'équipe de France, rejoint le ministre
de l'Education nationale sur l'estrade.
Cet après-midi de septembre, la superstar
du foot hexagonal vient présenter un manifeste
contre la violence rédigé par les élèves
du collège Henri-Matisse de Choisy-le-Roi.
Un établissement «classé ZEP» - «zone d'éducation
prioritaire» - comme on dit dans le jargon
éduc'nat. Un collège dont le combat mené
contre l'échec scolaire et les incivilités
lui valent aujourd'hui les louanges vibrantes
du ministère. Quelques kilomètres plus loin,
dans le XVIIIe arrondissement de Paris,
le collège Marie-Curie. Autre ZEP, autre
ambiance. Planté dans une rue aux allures
de coupe-gorge, cerné d'immeubles lépreux,
l'édifice, récemment agrandi, fait un pied
de nez à la misère avec ses grandes baies
vitrées et ses couloirs ripolinés. Ici,
52% seulement des élèves décrochent le brevet
des collèges - soit 26 points de moins que
la moyenne nationale - mais «la violence
a disparu et les jeunes ont envie de venir
étudier», assure le proviseur, Jean-Pierre
Faure. Deux ZEP, deux réalités, mais une
seule logique: «Donner plus à ceux qui ont
moins.»
Le slogan est connu. En 1981, l'introduction
du principe de la discrimination positive
avait déclenché un miniséisme dans l'école
de la République. Vingt ans plus tard, la
France compte 916 réseaux d'éducation prioritaire
(REP), dans lesquels sont englobées les
ZEP. Un élève sur cinq - écoliers et collégiens
en grande majorité - est scolarisé en réseau;
17,5% des instituteurs et 18,4% des enseignants
du second degré y exercent leur magistère.
Le classement en éducation prioritaire dépend
du profil socio-professionnel des familles,
de la proportion d'enfants d'origine étrangère
et du pourcentage d'élèves en grande difficulté.
Le prix de ce traitement de «faveur»? Impossible
à chiffrer avec précision. Particularité
- et facteur d'opacité - du système, les
moyens supplémentaires alloués par l'Etat
à l'éducation prioritaire ne font l'objet
d'aucune enveloppe spécifique dans le budget
de l'Education nationale. De surcroît, il
n'existe aucun état des lieux national des
ZEP, les informations recueillies par les
académies ne remontant pas nécessairement
jusqu'à Paris. Il faut donc se contenter
de l'estimation officielle: un élève de
l'éducation prioritaire coûte en moyenne
10% de plus à l'Etat qu'un élève lambda.
Explication de détail. Chaque enseignant
perçoit une indemnité «de sujétion spéciale»
de 6 861 F annuels, à laquelle s'ajoutent
les primes des directeurs d'école, des principaux
de collège, de leurs adjoints et du personnel
socio-médical - entre 2 700 et 6 500 F par
an environ. Pour une zone regroupant 1 600
élèves en école et 500 élèves en collège,
le montant de ces indemnités spécifiques
s'élève à près de 1 million de francs, d'après
le rapport Moisan-Simon sur les ZEP, publié
en 1997. L'Etat subventionne également les
bourses, le fonds social et la cantine.
Sur le plan pédagogique, enfin, les écoles
bénéficient de 8 300 postes supplémentaires
et les collèges, d'un bonus de 8,8% d'heures
d'enseignement hebdomadaires. Grâce à ces
petits plus, chaque classe de collège en
ZEP comprend en moyenne deux élèves de moins
qu'une classe traditionnelle.
Mais la «discrimination positive» s'arrête
là. En matière de nouvelles technologies,
par exemple, les établissements de l'éducation
prioritaire sont à peine mieux dotés. On
compte 12 élèves par micro-ordinateur dans
les collèges de 300 à 600 élèves, pour 13,7
dans les établissements hors zone. Le label
ZEP ne joue guère plus auprès des collectivités
locales. Certes, les subventions départementales
peuvent varier du simple au double, mais
ces écarts correspondent essentiellement
au degré de priorité donné localement à
l'éducation, ZEP ou pas ZEP. En réalité,
c'est moins le classement «éducation prioritaire»
que la taille de l'établissement qui fait
grimper la facture, estime la Direction
de la programmation et du développement
(DPD), le service statistique du ministère.
Autrement dit: en termes de moyens, il y
a bon nombre d'écoles bien mieux loties
que celles situées dans les zones d'éducation
prioritaire. Qui n'ont de prioritaire que
le nom.
Les ZEP sont pourtant solidement ancrées
dans le paysage éducatif français. Conçues
comme une solution provisoire contre l'échec
scolaire dans le collège unique, ces zones
se sont multipliées depuis les années 90.
En 1998, Ségolène Royal, à l'époque ministre
déléguée à l'Enseignement scolaire, a même
étendu le dispositif à l'échelle du réseau
et fait rentrer 527 nouveaux établissements,
soit une augmentation de 25%. Les crédits
pédagogiques - majoritairement utilisés
par les recteurs pour financer les actions
d'éducation prioritaire - sont passés de
39 millions de francs en 1998 à 48 millions
l'an dernier. «Certains classements en ZEP
ne sont pas justifiés, estime pourtant la
chercheuse au CNRS Agnès Van Zanten, qui
vient de publier L'Ecole de la périphérie
(PUF). Au lieu de concentrer les moyens
sur les écoles et collèges qui en avaient
le plus besoin, l'Etat et les collectivités
locales les ont éparpillés.» Car, si l'étiquette
ZEP n'est guère flatteuse, elle permet néanmoins
aux élus locaux - et aux ministres - de
glaner des voix auprès des milieux populaires...
Les résultats sont-ils au moins à la hauteur?
La réponse est contrastée. D'après Gérard
Chauveau, chercheur à l'Institut national
de pédagogie, un collège de ZEP sur trois
ne parvient pas à améliorer les performances
scolaires de ses élèves. L'an dernier, les
scores des collégiens de l'éducation prioritaire
aux évaluations en français et en calcul
à l'entrée en sixième étaient inférieurs
de huit points à ceux de leurs camarades
«hors zone». «L'écart n'augmente pas, alors
que la situation économique s'est dégradée;
c'est déjà très satisfaisant», nuance Anny
Aline à la DPD. Les atouts qui font la différence?
Des établissements à taille humaine - pas
plus de 500 élèves par collège. Une équipe
enseignante ancienne, ultramotivée et innovante.
Enfin, un suivi attentif du rectorat.
«Donner plus, mais donner mieux», clame
aujourd'hui le ministère. Comment? En obligeant
notamment les établissements à tenir leurs
objectifs par contrat, et en mettant à leur
disposition un logiciel informatique qui
leur permettra de recenser et de comparer
leurs résultats. Il était temps. Mais les
dérives du passé ont laissé des traces.
«Sous la pression des financeurs publics
et privés ainsi que des élus locaux, on
a multiplié les actions à court terme, du
type "école fleurie", faciles
à médiatiser, analyse Agnès Van Zanten.
C'est encore un peu vrai aujourd'hui.» L'objectif
de l'apprentissage est passé au second plan.
L'enseignant Nestor Romero, auteur de L'Ecole
des riches, l"école des pauvres (Syros),
tempête: «Les ZEP pratiquent une discrimination
négative. Un enfant d'ouvrier y réussit
moins bien qu'ailleurs. Ces zones sont des
ghettos, où l'on fait de la pacification
sociale au lieu d'enseigner et d'innover.»
Tout le monde le reconnaît: l'éducation
prioritaire n'est pas la panacée. Mais,
faute d'une vraie politique en faveur de
la mixité sociale, on voit mal comment les
pouvoirs publics pourraient en faire l'économie.
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