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Août 2001 - INTERNATIONAL
Mondialisation de l'éducation, un combat contre le racisme
Albert
Jacquard est biologiste et conférencier sur l'humanisme.
- Qu'est-ce
que le racisme ?
Albert
Jacquard. C'est se donner le droit de porter un jugement sur les
autres humains en fonction de leur appartenance à un groupe. Il peut
être défini par sa couleur, sa religion, sa culture, son histoire.
Le racisme ne peut être fondé sur une réalité biologique. Bien sûr,
un Noir a la peau différente d'un Blanc, mais étant donné le nombre
de caractéristiques comme le système sanguin, immunologique, cette
caractéristique de couleur ne peut pas fonder une décomposition de
l'humanité. Combattre le racisme dans la Déclaration universelle des
droits de l'homme, c'est se demander si oui ou non on accepte qu'à
partir du moment où l'on est un être humain on a les mêmes droits
que tous les autres humains. C'est une idée que presque tout le monde
partage, apparemment, mais qui n'a, en réalité, jamais été observée.
- Peut-on
mettre en relation l'esprit de compétition des sociétés libérales avec
une certaine idée du racisme ?
Albert Jacquard.
A partir du moment où l'on fait des groupes, et cela est propre à
notre culture occidentale, on a envie de transformer ce classement
en une hiérarchie. C'est-à-dire de passer de la notion de différence,
qui est réelle, à la notion de hiérarchie, ce qui constitue tout simplement
une erreur logique. Moi et l'autre sommes différents, évidemment,
mais qui est le meilleur ? Cela n'a pas de sens. Sur une course de
100 mètres, je risque d'être battu, certes, et considérant un autre
critère de distinction, l'on pourra toujours effectuer une hiérarchie.
Mais celle-ci ne tient plus si l'on implique plusieurs caractéristiques.
Donc le concept de hiérarchie est illogique à partir du moment où
l'on admet que l'homme n'est pas réductible à un aspect unidimensionnel.
Malheureusement, notre culture occidentale est fondée sur une hiérarchie,
celle de la valeur : combien vous valez. Si vous êtes né aux Etats-Unis,
vous pouvez répondre : je vaux 3 000, et un autre répondra 4 000.
Cela implique une unidimensionnalité : celle de la valeur. Par conséquent,
le monde libéral est un monde unidimensionnel, et qui tout naturellement
aboutira à la question : lequel de nous deux est supérieur à l'autre,
lequel de nous deux doit dominer l'autre. L'on peut faire un lien
avec le racisme, qui suppose qu'il y ait ceux qui dominent et commandent,
et ceux qui obéissent. Est-ce que oui ou non on est d'accord pour
admettre l'idée fondamentale de l'égalité en droit entre les hommes
? Cela peut avoir des conséquences énormes.
- La
conférence de Durban peut-elle donner l'occasion d'une lutte efficace
contre le racisme ?
Albert
Jacquard. Probablement y verra-t-on encore des petits groupes
qui vont à peine se parler, alors que cela pourrait être une occasion
extraordinaire de se demander si oui ou non l'on croit en cette égalité.
Il y a un projet possible pour manifester cette solidarité désormais
mondiale. La fonction première de toute société est d'éduquer ses
enfants. Est-ce que le coût de cette fonction ne pourrait pas être
pris en charge par tous les peuples ? Je ne dis pas que l'on
doit éduquer partout pareil, les cultures sont différentes, et tant
mieux, mais à partir du moment où un Etat respecte dans son éducation
la Déclaration universelle des droits de l'homme, pourquoi ne pas
rémunérer les instituteurs du monde entier par la collectivité humaine,
par l'UNESCO (Organisation des Nations unies pour l'éducation, la
science et la culture) par exemple ? Aucun pays ne pourrait alors
justifier qu'il n'éduque pas ses enfants car il n'a pas d'argent.
La vraie mondialisation est celle de l'éducation, et c'est par cette
dernière que l'on combat le racisme.
Propos
recueillis par Jérôme Drasan

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