Dégagez,
on rebâtit ailleurs sans vous ! C'est ce qu'ont compris les personnels
de l'Institut national de recherche pédagogique (*) lorsque le
ministère de l'Education nationale a brutalement décidé en septembre
2000 la suppression du site parisien de leur institut et son implantation
à Lyon.
Alors que
la recherche en éducation ne bénéficie pas en France des moyens
suffisants pour répondre aux problèmes du système éducatif, le
ministère casse une partie de ce qui existe.
Pourtant,
l'INRP (plus de 300 personnes dont 130 chercheurs) devance et
accompagne l'évolution du système éducatif français en menant
des recherches sur de nombreux aspects de l'éducation : pratiques
enseignantes, apprentissages, innovations, administration, rythmes
scolaires, technologies nouvelles, renouvellement des disciplines,
lutte contre l'échec scolaire, etc.
- L'une
de ses originalités est de conduire ces recherches grâce à des
équipes implantées sur tout le territoire national et formant
un réseau de plus de 1 600 enseignants, chercheurs et formateurs
associés en poste dans les écoles, collèges et lycées, les instituts
universitaires de formation des maîtres, les universités, le
CNRS, etc.
- Une
autre originalité de cet institut est de faire vivre la mémoire
de l'éducation grâce à une bibliothèque unique par l'importance
de ses collections sur l'éducation (plus de 600 000 volumes)
et leur exceptionnelle étendue dans le temps (du XVe siècle
à nos jours). Enfin, l'INRP c'est aussi le musée national de
l'éducation, installé à Rouen.
Aussitôt
engagée dans une lutte contre l'absurdité d'un déménagement qui
entraînerait le démantèlement des équipes, des collections et
des compétences, l'intersyndicale des personnels (FERC-CGT, FSU,
SGEN-CFDT, UNSA-Education) a dénoncé une logique immobilière qui
prévaut sur toute politique de recherche en éducation.
La délocalisation
est officiellement destinée à donner à l'Ecole normale supérieure
de la rue d'Ulm à Paris quelques milliers de mètres carrés supplémentaires
(dont elle ne semble pas avoir un besoin urgent) et plus encore
à satisfaire, après coup, les ambitions de Raymond Barre (ancien
maire de Lyon), à remplir les étagères de la nouvelle bibliothèque
interuniversitaire de Lyon (vides à la suite de l'incendie de
la bibliothèque de Lyon-II).
Elle coupe
court sans aucune raison scientifique au développement progressif
de sites régionaux dans lequel l'INRP s'était engagé (Paris, Rouen,
Lyon, Marseille).
Face à
un tel arbitraire et à l'absence de perspectives de développement
de la recherche en éducation, les fédérations syndicales nationales
susnommées se sont unies pour demander aux ministres de l'Education
nationale et de la Recherche de revenir sur une décision sans
fondement scientifique et de promouvoir la recherche sur l'éducation
et la formation.
Cette union,
rare, a obtenu quelques succès : le ministre de l'Education nationale
a annoncé en mars 2001 son intention de donner un nouvel élan
à la recherche et il a confié à Antoine Prost une mission de réflexion
sur les conditions de son essor et de sa coordination.
Pourtant,
sans attendre les conclusions de cette mission, espérées fin juillet,
alors même que l'arrêté de transfert de l'INRP à Lyon n'est pas
encore signé, la suppression de l'INRP Paris continue à marche
forcée.
Le déménagement
de la bibliothèque, la construction d'un bâtiment à Lyon sont
engagés et les personnels invités à quitter l'institut s'ils veulent
rester en région parisienne ou à déménager à Saint-Fons, dans
la banlieue lyonnaise, en attendant l'achèvement du bâtiment prévu
à Lyon (en 2004 au plus tôt).
Il faut
en finir avec l'hypocrisie ministérielle qui engage une réflexion
sur l'avenir mais anticipe sur ses résultats et commence à démanteler
l'INRP. Il faut en finir avec la campagne de dénigrement de l'institut
et de ses personnels (diffusion à la presse d'un rapport d'inspection
administrative calomnieux, dispersion de crédits, réduction de
primes) en l'absence de toute évaluation scientifique.
Il faut
en finir avec une gestion de la recherche au coup par coup, aussi
clientéliste que dispersée, chiche de surcroît.
Au moment
où les Institut universitaires de formation des maîtres (IUFM)
doivent faire face à un afflux de stagiaires sans précédent lié
au renouvellement démographique du corps enseignant, où l'effort
de formation doit être massivement amplifié à tous les échelons
du système éducatif, la France a besoin de stimuler la recherche
sur l'éducation et la formation par une politique scientifique
ambitieuse et cohérente.
Elle a
besoin d'un institut national de recherche disposant d'un projet
scientifique fort mettant en ouvre cette politique à l'échelle
régionale, nationale, européenne et internationale, en association
volontaire avec les autres forces existantes (instituts universitaires
de formation des maîtres, universités, CNRS, ENS, etc.).
Sans politique
nationale, sans projet scientifique stable et concerté aucun institut
de recherche ne peut être performant, pas plus à Lyon qu'à Paris.
Pourquoi programmer la disparition du site de Paris et disperser
les équipes de chercheurs alors que le développement de l'INRP
sur plusieurs sites était prévu ?
Quel est
l'intérêt de déplacer la bibliothèque de Paris à Lyon (au risque
de dégrader des documents fragiles) et de diviser le nombre de
ses lecteurs par deux (40 % de la population française peut la
consulter à Paris contre moins de 20 % à Lyon) ? Le mépris des
personnes et des compétences, l'invocation d'une décision irrévocable
comme seule justification, la casse inévitable que provoquera
la délocalisation, la dimension immobilière évoquent Marks & Spencer.
Mais où
est le profit ? Quelles actions vont remonter en Bourse ? Sûrement
pas celles du service public de recherche en éducation. Pour dire
leur incompréhension et leur indignation les personnels de l'INRP
étaient massivement en grève le 3 juillet dernier.
Ils veulent
rebâtir un avenir pour la recherche en éducation avec l'INRP.
Avec leurs fédérations syndicales nationales, ils ont lancé un
appel demandant :
- la définition
concertée d'un projet scientifique inscrivant l'INRP dans la
politique nationale de recherche sur l'éducation et la formation,
comme le conseil scientifique (11 juin 2001) et le comité paritaire
central de l'INRP (26 juin 2001) l'ont demandé ;
- le développement
de l'INRP sur plusieurs sites et le maintien du site parisien
avec sa bibliothèque.
Et, en
attendant, le gel de tout transfert à Saint-Fons (Rhône) et à
Lyon.
(*)
FERC-CGT, FSU, SGEN-CFDT, UNSA-Education. intersyndicaleinrp@free.fr